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Jumbo du cauchemard au rêve...
L’un de ces célèbres dessins animés, sorti des studios Disney aux États-Unis en 1941 sous le titre Dumbo,
et en 1947 en France sous le titre de Dumbo, l’éléphant volant, est connu dans le monde entier.
Il fut présenté au Festival de Cannes la même année et remporta le Grand Prix du dessin animé.
Le film, en partie inspiré d’un livre pour enfants paru en 1939, est une sorte de remake du Vilain Petit Canard
dans lequel le héro à plumes est remplacé par un éléphanteau.
Ce dernier est apporté par une cigogne égarée à Mme Jumbo,
une éléphante appartenant à un cirque qui se déplace en train de ville en ville.
Affublé d’oreilles démesurées, son petit est l’objet de toutes les moqueries.
Le reste de la troupe le surnomme ainsi Dumbo…..
Derrière l’œuvre de Disney se cache en fait l’histoire d’un éléphant de cirque
qui a réellement existé à l’époque victorienne.
Il est né à la fin de l’année 1860 ou début 1861 au Soudan (ou Mali selon les sources).
Après que sa mère a été tuée devant lui par des chasseurs,
l’éléphanteau décharné est acheté par Lorenzo Casanova, un marchand d’animaux italien,
qui l’expédie par bateau en Europe.
D’abord vendu à une ménagerie ambulante en Allemagne,
il échoue en 1862 à la Ménagerie du Jardin des plantes à Paris.
Il est pendant un temps le seul éléphant d’Afrique en France et même en Europe,
aucun autre n’ayant jusqu’alors survécu au voyage.
L’animal solitaire est acquis par le zoo de Londres en 1865, où il arrive en mauvaise santé.
Il y devient très populaire auprès de la haute société, en particulier des enfants,
qu’il divertit par des promenades et en se laissant nourrir de friandises.
Durant seize années, sous la houlette de son gardien, Matthew Scott, il transporte ainsi des milliers d’enfants,
dont Winston Churchill, Théodore Roosevelt et, paraît-il, les enfants de la reine Victoria en toute discrétion.
En grandissant, il atteint sa célèbre taille (près de 4 m de haut).
Le nom qui lui a été donné — Jumbo — passera à la postérité
en désignant par extension ce qui est de grande dimension.
Mais en coulisse, le tableau n’est pas aussi reluisant.
L’éléphant, qui ne s’est probablement jamais remis du traumatisme de la mort de sa mère
et de l’arrachement à sa terre natale, est sévèrement maltraité pour le rendre toujours plus docile.
Jumbo, en pleine adolescence car ayant atteint l’âge de la maturité sexuelle,
est de plus en plus agité et difficile à contrôler.
Il souffre de claustrophobie et des attaques de rats dans le box exigu dans lequel il est enfermé.
Ses défenses seront tronquées car il se jette contre les murs la nuit.
Pire encore, son gardien Matthew Scott l’assomme avec de l’alcool
(un tonneau de bière par jour et du scotch…).
Abraham Bartlett, surintendant du zoo, craignant pour la sécurité des visiteurs et du personnel,
et désireux de ménager la pudeur victorienne
(démonstrations explicites résultant des montées de testostérone de l’éléphant), envisage de l’abattre.
Ayant vent de l’affaire, le directeur de cirque américain Phineas Barnum
propose à Bartlett de lui acheter Jumbo. La vente, conclue en 1882 pour un faible prix,
sera très décriée dans l’opinion publique anglaise (lettres de 100 000 écoliers à la reine Victoria,
pétitions au Parlement, articles dans la presse, procès contre le zoo londonien, etc.).
Jumbo est donc contraint une nouvelle fois de changer de continent.
Terrifié, enchaîné et enfermé dans une caisse, Jumbo hurlera pendant les deux semaines
de traversée en bateau à vapeur jusqu’à New York,
excepté lorsqu’il sera imbibé de bière et de whisky par Matthew Scott
ou nourri de canapés et de champagne par les passagers de première classe.
Dès son arrivée, il intègre avec son gardien le Greatest Show on Earth,
le gigantesque cirque ambulant aux trois pistes de Barnum et Bailey qui se déplace à travers l’Amérique du Nord
par voie ferrée avec ses 80 wagons.
Un wagon spécial lui est même réservé, rouge et or, avec l’inscription Jumbo’s Palace Car.
Il est l’attraction phare et sa renommée est désormais mondiale.
Grâce à lui, Barnum aura créé le spectacle de cirque le plus lucratif de tous les temps (20 millions de spectateurs).
Étrangement, son comportement change. Il est beaucoup plus calme.
Cela est probablement dû au fait qu’il s’est retrouvé au milieu d’un troupeau d’éléphants chez Barnum
et qu’il ne souffrait plus de solitude.
A partir de l’automne 1883, la santé de Jumbo décline, de même que les affaires de Phineas Barnum.
Ce dernier est également dans le collimateur de la Société américaine pour la prévention de la cruauté
envers les animaux (ASPCA). En 1885, l’éléphant est toujours malade.
Il meurt le 15 septembre à St. Thomas en Ontario (Canada), heurté par un train.
Matthew Scott posant près de la dépouille de Jumbo.
(photo prise le 16 septembre 1885, le lendemain de la mort de Jumbo à St. Thomas.)
Les circonstances réelles de la mort de Jumbo sont incertaines,
des versions différentes ayant été relatées par Barnum, Scott, d’éventuels témoins, ou dans les journaux.
La version « officielle », soutenue par Barnum, voudrait que Jumbo se soit précipité devant le train
pour sauver héroïquement un jeune éléphant de la troupe.
Une autre, par exemple, raconte que la locomotive a déraillé en heurtant le jeune éléphant
et qu’elle aurait ensuite fauché Jumbo.
Par Tim Burton
La chaîne BBC One a diffusé un documentaire sur la vie et la mort de Jumbo
au travers des archives
et des études faites par des spécialistes sur les ossements conservés au
Muséum d’histoire naturelle de New York,
nous apportent quelques précisions ou éléments nouveaux :
Tout d’abord, les accès de rage nocturnes de Jumbo,
à l’époque où il se trouvait au zoo de Londres,
seraient dus principalement ou en partie à d’importants problèmes dentaires.
C’est une alimentation inadaptée depuis son plus jeune âge qui en est la cause.
Comme chez les humains, les douleurs dentaires sont exacerbées la nuit chez les animaux.
Ensuite, les mesures prises sur son squelette ont permis de confirmer que cet éléphant était très grand,
certainement pas le plus grand éléphant du monde comme cela a été dit à l’époque
mais environ 20 % plus grand que la taille moyenne pour un éléphant de cet âge-là.
Par ailleurs, sa croissance osseuse n’était pas achevée. Les prélèvements faits sur la queue Jumbo,
qui a échappé à la destruction et a été conservée jusqu’à aujourd’hui, attestent que son métabolisme
était bien celui d’un éléphant malade.Enfin, les ossements de Jumbo ne montrent pas de signes d’un choc violent
et frontal avec la locomotive du train, ce qui écarte définitivement la version héroïque de sa mort,
soutenue par Barnum. De plus, une ancienne gravure jusqu’ici méconnue, représentant l’accident
et la fin tragique de l’éléphant, le montre se faisant heurter par l’arrière et du côté droit par la locomotive.
Il est le seul éléphant sur les rails et se trouve de dos lorsque le train arrive.
Cette vision de l’accident est très certainement la plus proche de la réalité car elle cadre tout à fait
avec les lacérations qui sont bien visibles sur les photos prises de la dépouille de Jumbo.
On apprend également qu’il n’a pas été tué sur le coup mais a rendu son dernier soupir un peu plus tard.
Un mystère demeure cependant, qui ne sera probablement jamais élucidé :
la présence de Jumbo était-elle fortuite sur la voie de chemin de fer ou bien a-t-il été conduit là volontairement ?
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